Echange 1 (elle)

Quatre mains,
quatre soupirs,
quatre sourires…


« Quatre mains, quatre soupirs, quatre sourires… » Ca pourrait faire un bon titre, se dit-elle !

C’est ce qu’il lui avait proposé après « écris-moi, je réponds toujours », en conclusion de quatre heures d’échange via messenger.

A nouveau, il venait de l’interpeller dans sa curiosité, toujours sur le même mode, celui du jeu.

D’ailleurs, ne s’étaient pas t-il rencontrés sur un jeu ? C’est son pseudo qui l’avait fait s’attarder sur son profil. Elle l’avait trouvé original, court, percutant et énigmatique, la perfection pour attirer son attention. Là ou les candidats se concurrençaient des « Romantik » « Toudou » et « Dr Love » pour le groupe des « adoptez-moi », « Le Centaure » « Loup Blanc » ou « l’Etalon » pour le groupe des « ben voyons, j’ai peur de rien », « Coquin » « Fetichist » « Hommemarié » ou « Profmath » « Jeanfifi » « Kikitoulouse » « Bernarddebrest » pour les « à court d’idées », lui avait fait mouche dans sa liste de prétendants, juste par son nom de scène : Blasons.

Premier ressenti, honneur à la langue française, bon point ! Ensuite, mais pourquoi un tel nom, que se cache t-il derrière ? Et surtout QUI ? Un aristo, un chevalier, un maniaque collectionneur d’armoiries, un fan de jeu de capes et d’épées ? Piquée dans sa curiosité, elle a amorcé une relation, au travers d’échanges de moins de 500 mots, c’était tout le principe du jeu. Pas simple quand on a une avalanche de questions à poser. Et là, où elle se serait vite ennuyée par des « Tu viens d’où ? T’es mariée, divorcée ? T’as quel âge ? Tu aimes la moto et les couchers de soleil ? » Lui l’a subtilement charmé en lui soumettant un portrait chinois. Second bon point. L’homme est original, semble fin d’esprit, de l’humour et un goût du jeu qui ne rassasie pas sa curiosité, bien au contraire. Les questions sont posées une à une, le rythme est lent. Elle se surprend à attendre, à peine a t'elle répondu, qu’elle désespère de devoir patienter, et elle déteste patienter. Parce qu’un jour, elle a décrété qu’elle ne serait plus dépendante de qui que ce soit, qu’elle ne subirait plus de frustrations liées à l’attente que les autres veulent lui imposer. Elle, c’est tout, tout de suite, maintenant, elle a organisé sa vie comme ça et manifestement Blasons joue avec ses nerfs.

Au moment ou sa patience lui dit de mettre son énergie ailleurs, Blasons, lui propose d’approfondir leur relation en dehors du jeu. Échange de mails opéré, elle pense qu’ils vont affiner leur découverte mutuelle. Oui, mais là encore, d’une manière très originale et imprévue, par la voie d’un jeu de piste, en suivant des énigmes. L’idée lui plait, il vient d’ajouter un ingrédient auquel elle est plus que réactive. Le challenge… Et c’est une femme de challenge, c’est son carburant, son énergie. L’énigme la perturbe, une histoire de cyclopes, de mythologie, de trahison, de jardin du Luxembourg, d’amour, de sculptures… Zut, l’histoire ce n’est pas son fort, mais pourquoi il n’a pas choisi un écrivain, un peintre, une recette, un article de loi ! Plus que l’énigme en elle-même, c’est le principe qui la passionne, le jeu. Trouver la réponse, se connaître un peu plus, sans rien dévoiler !

Elle est charmée, apostrophée, et toujours dans l’attente de… plus. Mais elle se perd dans la troisième énigme, et par manque de temps, de concentration, d’indices, elle se lasse, et lâche l’histoire des enfants du cyclope cocufiés derrière la fontaine, dont la mère est la mère de tout l’univers tout en étant pas très fidèle. Trop compliqué. Elle, elle a fait du droit, et ne jure que par Napoléon, père du code civil. Et il n’était pas borgne Napoléon !

Troublée par cette relation, elle décide de la sortir de son contexte virtuel, de lui donner du corps, la rendre vivante. Elle a besoin d’en parler avec des vrais gens, pas derrière un clavier, en la partageant, et qui d’autre qu’Erwham, son double, son clone au masculin, son partenaire de jeu, peut mieux la comprendre :

- Ecoute Erwham, elle est bizarre cette relation, tu ne trouves pas ? Intellectuellement génial, j’ai la sensation qu’il me devine, qu’il me perçoit. Il sait susciter l’envie chez moi, tout en occultant les détails du quotidien, et on ne se connaît toujours pas !
- Ouais, ton histoire de Pan et Gaïa, elle est assez étonnante… Tiens, je n’ai pas trouvé non plus la solution de la dernière énigme ! Mais tu connais son nom, au moins ?
- Non, on échange toujours sous nos pseudos, lui Blasons et moi Toast. Au début je trouvais ça fabuleux, pourquoi se dévoiler tout de suite et puis quelle importance ! Je trouve ce principe aussi respectueux qu’un vouvoiement. Ce qui me dérange c’est le reste, de constater qu’au bout de ces mois d’échanges virtuels, finalement, on n’a pas vraiment avancé, et là je m’étiole.
- T’es pas arrivée à discerner le personnage ? Tu sais bien ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas, vous discutez quand même ?
- Pas tant que ça ! Il me parle par textes, poèmes, etc… Tu me connais, je suis une atrophiée du romantisme, donc s’il y a un truc à comprendre, c’est du swahili pour moi ! Si, il m’a donné quelques clés, mais juste sur ses préférences érotiques, tu ne définis pas une personne juste sur ça, enfin pas moi !
- Oui, c’est bien maigre, relance le, t’as rien à perdre ? Il est peut être timide, ou alors, il en s’en bat l’œil avec une queue de sardine !
- Non, pas envie, plus envie, et puis, je ne sais pas ce qu’il cherche, ce qu’il attend et je n’ai plus le temps de jouer, et je crois qu’on est différent, moi le mystère, ça m’intéresse dix minutes après, pfffft ! Et, lui, il entretient le mystère ! Et puis c’est une vierge, comme le type que je viens de licencier, je les comprends pas, je les trouve dénuées de personnalité, molles, ternes, trop doucereuses et mielleuses pour moi !
- Non, mais tu ne vas pas croire à ces histoires d’astrologie : Je n’aime pas les vierges, c’est une forme de racisme ! Et toi, tu ne serais pas idiote ascendant stupide ?


Et voilà, qu’en rentrant hier soir, tard, d’une soirée, comme toutes ses autres soirées ou elle rentre trop tard, elle le croise, connecté :

- Bonsoir !
- Tu n’es pas couché ? Je rentre de soirée, il est trois heures du mat, salut, je vais me coucher…
- Non, je ne suis pas un gros dormeur, bonne nuit !

En se réveillant, ce matin, il était là ! Elle une migraine atroce, les sinus bouchés, quelle idée d’interdire le tabac dans les bars !

Ils ont discutés plusieurs heures, il lui a donné son prénom, enfin ! Elle s’est dévoilée sur certains traits de son caractère, elle lui a parlé de ce qui était au plus profond d’elle-même, ce qu’elle n’a jamais dit ni à sa mère, ni aux psys, ni même à Erwham. Il l’a écouté, l’a perturbé avec une histoire de main à toucher, une envie de se voir, contact physique… Tiens, passerait-on un cap ! Il s’est légèrement déshabillé, des enfants, des allers-retours province par quinzaine. Elle sait qu’il aime le gratin dauphinois, c’est de l’info qui vaut de l’or, sourit-elle ! Yes, 1,80 m, bon point ! Elle va pouvoir mettre ses talons…

Et puis « Écris-moi » ! Mais pourquoi ? Quoi ? Est-ce qu’elle aura le temps, que va-t-elle lui écrire comme ça, et pourquoi elle, pas lui ? Il a su susciter son intérêt, en lui proposant, une histoire à quatre mains…

Mais pourquoi elle fonce depuis le début, avec cet inconnu dont elle ignore tout ? Pourquoi il la bouscule autant, elle pense que par le biais de ces jeux, justement en les dépersonnalisant tout les deux, Blasons a réussi à ne s’attacher qu’aux valeurs essentielles, elle sait plus trop d’ailleurs, peut être tout simplement parce qu’il représente la nouveauté ! Parce qu’il est justement différent d’elle, qu’elle tourne un peu en rond dans sa vie depuis un petit moment, même si crapahuter au bout du monde lui laisse croire qu’elle s’extrait de son impasse, que se perdre dans des soirées lui laisse croire qu’elle à des amis, etc…


Le pseudo, le portrait chinois, le jeu de piste et maintenant cette histoire à construire, oui, « quatre mains, quatre soupirs, quatre sourires » c’est un excellent titre !

Aucun commentaire: